Un nouveau vidéoclip de Cherry Chérie

Les gars de Cherry Chérie sont allés casser New York en deux pour vous offrir le vidéoclip de "Tu n'étais pas là". Le vidéoclip est accompagnée d'une nouvelle écrite par Paolo Philpot (qui a aussi écrit la chanson). Bon visionnement et bonne lecture!

TU N’ÉTAIS PAS LÀ

Par Paolo Philpot

Je me rappelle de cette soirée, notre premier tête-à-tête. Ça m’avait pris tout mon courage pour me commettre et t’inviter. Mais voilà, je l’ai fait, je t’ai écrit. Je t’annonçais, sans te le dire avec les vrais mots, comment j’avais envie de t’aimer.  

Tu as fini de travailler tard, fatiguée. Mais t’as accepté l’invitation. Tu m’as rejoint vers minuit dans un bar rue Saint-Zotique. Je n’y étais jamais allé et toi non plus. Un endroit vierge de nous deux. Un décor, des visages, de la musique que j’allais associer à toi. Des souvenirs maintenant. Qui vieillissent d’heure en heure mais qui gardent encore leur éclat. 

Je t’ai attendue une quinzaine de minutes, en scrutant mon téléphone pour avoir l’air occupé. J’ai consommé le peu de vie qu’il lui restait, et quand il a rendu l’âme j’ai relevé la tête et je t’ai vue entrer. Tu t’es excusée en arrivant. T’avais tes grosses lunettes qui ne t’allaient pas très bien. Ta beauté avait encore quelque chose d’insaisissable. Je me suis levé pour te donner deux becs. Tes yeux sceptiques, un demi-pouce plus hauts que les miens, se méfiaient déjà de moi. 

Je me suis tout de suite demandé si à la fin de la soirée tu m’inviterais à dormir chez toi. Ça me faisait peur. Quand je te regardais il n’y avait pas de sexe. Le départ d’Amélie l’avait éteint. Et puis tu étais plus grande que moi. Amélie, elle, était petite, si petite qu’elle est un jour disparue comme ça, sans avertissement. Plus tard j’ai compris que ta taille n’était pas une menace. Il y avait simplement une plus grande quantité de toi et c’était une bonne chose.

On a discuté entre nos gorgées de bière. Tu étais incisive dans ton parler. Une intelligence acérée.

— Mais ça fait combien de temps que tu es plus avec ton ex?

— Ça fait deux mois.

En fait, ça devait faire cinq semaines, mais je ne voulais pas t’effrayer. Six ans de relation et cinq semaines de deuil. Voilà qui aurait suffi à te faire fuir. J’étais encore souillé d’elle. Poissé de moisissure et de mort. Je le cachais assez bien, je crois. 

La conversation a dérivé sur le barman qui nous servait. Il s’appelait Simon. Tu le connaissais bien. Tu m’as dit qu’il ne s’était toujours pas remis de sa peine d’amour, un an après sa rupture. Et tu n’y comprenais rien. 

— C’est fou, toi t’as l’air bien, je comprends pas comment on peut rester accroché aussi longtemps. Pourquoi il passe pas à autre chose ?

Je ne le connaissais pas, mais j’arrivais à le comprendre. Mieux que toi je pense. J’avais vu l’abîme. J’étais tombé dedans et j’y avais découvert le noir véritable. La couleur originelle. C’est beaucoup plus laid que la couleur des jeans que tu portais. 

Je crois que j’ai bu trois ou quatre pintes ce soir-là. Il faut dire que j’avais déjà commencé avant d’arriver.  

Nous sommes partis juste avant que les lumières ne s’allument. Je voulais éviter que tu me voies dans la clarté. La nuit, dehors, nous appelait.  

— Il est où ton vélo?

— Juste au coin…

J’avais une crevaison. Tu m’as pris un peu en pitié parce que j’avais une longue marche à faire jusque chez moi. C’était la mi-avril, j’étais mal habillé et le printemps nous rendait la vie dure. 

J’ai ralenti le pas en ne disant rien de vrai. J’essayais en vain de créer un moment à nous deux. Au coin de la rue tu m’as dit bye. J’ai tenté de t’embrasser. Tu t’es défilée. Je me suis retourné, j’ai débarré mon vélo, puis je suis revenu à la charge. J’ai approché mon visage du tien. Tu t’es encore défilée mais avec moins de velléité. Je n’ai pas flanché. Tu as souri timidement et tu t’es laissée aller pendant quelques secondes. C’était sublime le temps que ça a duré. 

Ensuite, un fou rire a jailli de toi et s’est répandu dans la rue presque déserte. Je t’ai regardée sans rien dire, un peu inconfortable. 

— Je m’excuse, ça fait longtemps que j’ai pas fait ça je pense. 

Le rire s’est poursuivi quelques secondes encore. Et puis tu m’as dit :

— J’te size pas. T’es du genre énigmatique, toi. J’arrive pas à te lire. 

Le rire, puis ce reproche. C’était comme de l’alcool à friction sur ma plaie. Ça crépitait. 

— Je sais pas quoi dire. Je joue pas de game. J’suis juste content d’être là. 

Tu m’as dit que c’était réciproque. Puis, dans un élan de compassion probablement mêlé à du désir drôlement exprimé, tu m’as invité à dormir chez toi, à quelques rues d’où nous étions. 

J’ai accepté sans montrer trop d’enthousiasme. Mais il y en avait. Nous étions devenus complices. Un premier mur au sol. Nous marchions côte à côte en riant, sans obstacle en avant, vers ton appartement, cette petite forteresse où tu ne laissais entrer personne. 

Mais soudain, je me suis arrêté. Brusquement. Comme un chevreuil apeuré. Tu t’es tournée vers moi sans comprendre. J’avais oublié mon sac à dos et mon portable au bar. Sous l’effet de la panique je t’ai demandé ton adresse. Je t’ai dit que je te rejoindrais. Mais je n’avais rien pour noter les quatre chiffres. J’ai répété l’adresse plusieurs fois à voix haute, puis je suis retourné en courant vers le bar. 

Il était fermé depuis dix minutes. Derrière la vitre, le barman hissait les chaises sur les tables. J’ai cogné. En m’apercevant, il est venu à la porte avec mon sac dans les mains. Mon portable y était toujours. Je l’ai remercié. 

Il a ensuite remarqué ma crevaison et m’a proposé d’entrer pour changer ma tripe. Il avait tout le nécessaire à l’intérieur. J’ai décliné. Je voulais te rejoindre le plus vite possible. Pendant qu’il me parlait, ton adresse tournait en boucle dans ma tête. Les chiffres se mêlaient aux sons qui s’échappaient de sa bouche et s’embrouillaient dans mon esprit grisé.

Je me suis retapé le chemin inverse. Cette fois j’ai roulé sur mon pneu crevé, au risque d’abîmer ma roue. J’ai tourné le coin et me suis rendu au 6446. Les lumières étaient fermées. J’ai monté sur le porche et me suis approché de la porte. Pas un bruit. Il y avait des décorations un peu partout sur le balcon. Ça ne te ressemblait pas. Un premier doute. Je n’ai pas osé cogner. Ce n’était pas chez toi. Ma mémoire défaillait. 

Je suis resté bras ballants sur le trottoir un moment. Puis je suis allé au 6456. En regardant la façade, j’avais la même intuition. Tu n’étais pas là, tu étais ailleurs, dans un autre appartement dont l’adresse m’échappait. J’ai continué jusqu’au bout de la rue en espérant que ressurgisse la bonne combinaison. Mais rien. La vérité s’était perdue dans le ciel brumeux qui inondait mes pensées. 

J’ai fait plusieurs allers-retours en vociférant, me butant à une rangée de portes fermées, barrées à clé. Tu te trouvais derrière l’une d’elles. Mais laquelle? Je les regardais toutes pour voir s’il n’y avait pas une lumière à l’intérieur. J’avais froid, j’étais fatigué. Pourquoi ne sortais-tu pas pour m’aider? Ne te demandais-tu pas où j’étais? Je voulais me coucher à tes côtés pour une première fois, et puis peut-être pour des tonnes d’autres fois dans les semaines et les mois à venir. J’ai pensé crier ton nom sous l’un des balcons. J’aurais crié si fort que toute la rue se serait réveillée. 

Après vingt minutes, je me suis résigné à marcher jusque chez moi. Il était cinq heures passées quand je suis rentré. Le soleil commençait à déshabiller la ville. C’était laid. Les arbres étaient morts et nus. Je m’y reconnaissais. 

J’ai enlevé mes vêtements. J’ai branché mon téléphone et je t’ai envoyé un message d’excuse avant de m’endormir.  

****

C’est au cœur d’une tristesse profonde que je t’ai rencontrée, alors que j’étais collé à ce qu’il y avait d’enfoui et de ténébreux en moi. Dans cet abysse j’ai vu en toute limpidité le mensonge de ma vie. Mais j’y ai aussi vu au passage quelques vérités éclatantes. Tu en étais une. 

Pourquoi avons-nous si peu reparlé de cette soirée? 

Je sais que tu m’as attendu dans ton lit un moment puis que tu t’es endormie. En te réveillant tout habillée, tu devais être confuse. Un souvenir de nous qui marchions ensemble. Mais pourquoi n’étais-je pas dans ton lit? Et puis tu as probablement vu mon message. As-tu jamais vraiment cru à mon histoire, que j’avais oublié ton adresse?

Ce soir-là, nous étions absents aux endroits où ça comptait. Toi sur le porche de ton appartement, et moi dans ton lit à ton réveil. La fin se manifestait déjà avant même qu’on ait pu commencer à s’aimer. Un récif invisible et imparable nous attendait.

C’est vrai que par la suite j’ai vu quelques parcelles de ta lumière, quand tu t’es abandonnée, quand t’as lâché prise. Et c’était assez lumineux pour que je reste, pour que je te rappelle, pour que je croie en l’avenir. Mais tu n’as jamais vraiment été là toi non plus. Tu partais aussi vite que tu revenais, comme un phare dans la nuit.

Sur le porche de ton appartement, tu n’y étais pas. Mais moi j’y étais, dans le noir de la nuit froide, à te chercher du mauvais côté de la rue. Et encore aujourd’hui j’y suis, à tenter de comprendre pourquoi nous ne nous sommes jamais trouvés.